scénario dialogué original

RÉSUMÉ DE L’HISTOIRE

Naufragés depuis déjà 13 ans sur une île perdue au cœur de l’océan, les passagers et les membres de l’équipage d’un cargo, réorganisés en communauté, subissent la tyranie de Orn, leur ancien capitaine devenu gourou et despote…

Mais Lolie, née sur l’île peu de temps après le naufrage, saura trouver dans les mythes de l’île et la générosité de l’Imaginaire, la force nécessaire pour destituer ce monde d’injustice et d’intolérance, et ainsi parvenir à la destitution de Orn, cet illuminé de l’imposture dont le piteux dessein sera d’être le dernier « Roi du Monde »….

 Une parabole contre l’autoritarisme et l’intolérance pour adultes et pour enfants.

SYNOPSIS

Implantée sur une île sauvage perdue au cœur de l’océan, l’histoire de LA NUIT DU ROI raconte l’aventure des survivants d’un naufrage qui tentaient, 13 ans plus tôt, de fuir une terrible menace déclarée sur le monde…

Ces naufragés du Temps et de ce cargo, jadis baptisé « CAP HORN », sur la coque duquel ne subsistent plus que les lettres « O,R,N » à peine lisibles, se sont depuis réorganisés en communauté sous l’égide de leur ancien capitaine, avide de pouvoir et rongé par la malaria, qui a fait son nom des lettres encore visibles et se fait donc appeler ORN… Convaincu d’avoir survécu par l’unique volonté de Dieu, il devient gourou et despote au point de composer une sorte de liturgie qu’il déclame lors de rituels solennels avec des accents de vérités suprêmes… absurdes prophéties qu’il impose de manière tyrannique, tant à son entourage immédiat qu’aux habitants originaires de l’île… Soumettant donc la totalité des insulaires aux caprices de son autorité, il a développé une véritable hiérarchie entre ceux qui furent membres de son équipage et les passagers qu’il avait embarqués pour cause d’Exode… Diviser pour mieux régner…

Mais cette attitude abjecte va éveiller une puissance dont les pouvoirs devraient être toujours sans limite : le pouvoir de l’imaginaire et la force de l’amour, qui bientôt vont éclore dans le cœur de LOLIE…

LOLIE n’a que 13 ans, et bien que née sur l’île juste après le naufrage, elle est déjà victime des tabous, des punitions et des injustices que le « Système Orn » ne manque pas d’engendrer… Grâce à son caractère romanesque et à sa croyance naturelle en un monde meilleur, la jeune-fille saura trouver en elle et dans les mythes de l’île la force et la générosité nécessaires pour la mise à mal de ce monde d’injustice et d’intolérance…

Elle sera aidée dans sa tâche par deux forces surgies de l’imaginaire : ARGONNE-ESPRIT, l’esprit de la jeune-femme ayant jadis vécu sur l’île, avant l’arrivée du cargo, dont la légende dit qu’elle fut transformée en OISEAU pour mieux incarner le mythe insaisissable de l’île… et ARGONE-Oiseau, l’OISEAU venu de nulle part, qui lui apporte des rêves qu’elle doit décrypter pour en dénouer les mystères… Car LOLIE  fait d’étranges rêves… peuplés d’images d’une bataille qui se serait déroulée sur les bords de la falaise délimitant le nouveau village… Et les détails se précisent au fur et à mesure que les rêves se répètent… Et après chacun d’eux, LOLIE se réveille en présence d’un OISEAU, posé non loin d’elle, qui semble vouloir lui livrer quelques secrets

De ces trois personnages et de leur trois regards, il sera souvent difficile de savoir lequel prend celui de la camera. Et l’originalité de ce projet repose sur cet artifice visuel. Il conviendra dès lors d’accepter que tous trois sont une seule et même héroïne…

Mue par cette force qui la rend intrépide et curieuse, LOLIE va braver les interdits et faire fi de l’état dictatorial brutal que Orn a désormais instauré… Elle va ainsi s’aventurer au-delà du « Périmètre », cette limite artificielle imposée par lui pour séparer les parias des autres… Car il existe des gens au-delà de cette limite

Et c’est alors qu’elle rencontre APOLLO… D’un an son cadet, ce jeune garçon vit à l’autre bout de l’île, avec PÉNÉLOPE, son apparente grand-mère… qui lui révélera le mythe d’ARGONE, la jeune insulaire morte pour avoir essayé de sauver ceux qu’elle aimait, et dont la force d’amour était telle qu’elle se serait transformée en oiseau

La première rencontre entre APOLLO et LOLIE est un coup de foudre enfantin qu’il manifeste en lui offrant un talisman dont la symbolique semble porteuse d’une force mystérieuse… … Avec lui elle sera initiée aux mystères de l’île… Avec lui elle va découvrir l’épave du cargo et les traces du « monde d’avant »… Avec lui elle visitera les anciennes cabines et verra les corps pétrifiés des anciens passagers que APOLLO a baptisés « AVTOVS »…

Et ensemble ils se forgeront la conviction et l’énergie nécessaires pour défendre une noble cause : la destitution de Orn, cet illuminé de l’imposture dont le pieux dessein serait d’être le dernier « Roi du Monde »… Ambition bien vaine, quand on sait que seul l’amour finit par triompher… et que sa flamme, en l’occurrence, ne s’embrasera que dans le cœur de LOLIE… et uniquement grâce à APOLLO…

NOTE D’INTENTION

« (H)ORN : la nuit du roi » est un projet de long métrage d’animation qui a pour ambition de montrer la fragilité et la relativité des relations humaines alors que l’illusion du temps nous fait parfois croire à l’immuabilité des choses. Il est une parabole contre l’autoritarisme, l’hégémonie, le césarisme et plus généralement la dictature. Il est une fable, une allégorie, qui nous rappelle que seuls l’Amour et la Détermination peuvent maintenir la lumière dans le cœur des Hommes.
Témoin à la fois d’un passé implacable et de la force destructrice des « fous de Dieu », l’univers créé pour ce projet nous rappelle que ce sentiment d’immuabilité n’est rien. L’usure des années qui passent affecte aussi bien les édifices que le cœur des hommes. La tolérance exige une attention et une vigilance constantes, sans lesquelles la profondeur de sa notion court à la ruine.

Le film d’animation est le support idéal pour traiter des sujets sensibles que sont l’absolutisme et la folie dévastatrice, pour caricaturer la corruption, pasticher le vice. En rationalisant l’immoralité, on crée d’autant plus naturellement le besoin de reconnaître, en ceux qui s’opposent à de tels dérèglements, les Héros qui font l’apanage de nos rêves d’enfance. Le message n’en est pas pour autant édulcoré, bien au contraire. Je me souviens du film d’animation « Le roi et l’oiseau », dans lequel Prévert et Grimault opposent des symboles d’oppression et de liberté. Porteur de formidables valeurs, rappelant que l’anti-totalitarisme n’aura jamais assez de représentants, le film connut un vif succès.

En tant qu’initiateur de ce projet, j’ai la simple envie de rappeler aux générations à venir cette formule aux termes très simples qui consiste à dire que « le Mal est moins bien que le Bien »… et que tout le monde est –en principe– d’accord là-dessus… Et pourtant, de Hitler à Ben Laden, Ceaucescu, Pol Pot, Milosevic, et tous les autres, les « mauvais » n’arrêtent pas de tuer les « bons », ou à tout le moins des innocents qui ne demandent qu’à vivre en paix.
Sous toutes les latitudes, le Mal a le même visage : il investit les nations comme les têtes, corrompt les armées comme les cœurs, conquiert de l’intérieur les croyances comme les incroyances, se donne à Dieu aussi facilement qu’au Diable… Il n’a pas de couleur, il forme bloc avec lui-même, et nulle catalyse ne permettra jamais de le métamorphoser en autre chose que lui-même : il est le Mal, tout simplement, et toutes les grandes idéologies totalitaires s’y abreuvent avec gourmandise, en s’enivrant de sa folie.
Ainsi serai-je tenté de donner ici ma propre définition de la Dictature ramenée à l’acrostiche décliné sur son nom :  D.I.C.T.A.T.U.R.E = Despotisme Insidieux Conjuguant Techniques Abêtissantes & Théories Universalistes Réellement Exécrables …

« (H)ORN : la nuit du roi » passe par la redécouverte de cette évidence : il n’y a pas de pire exclusion que l’injustice, et il nous faut la refuser, quel qu’en soit le prix. Il nous faut aussi coûte que coûte préserver nos libertés, dans des sociétés que d’autres s’acharnent à vouloir transformer en prisons… des prisons qu’il nous faut combattre par tous les moyens.
En construisant ce projet sur ce désir, j’ai appris à m’y adonner avec la ferme conviction qu’un jour il éveillera dans le cœur des spectateurs des sursauts de révolte pour les abjections de (H)ORN et qu’alors ils partageront la sincérité, la détermination et la ferveur romanesque de Lolie, mon héroïne, aux prises avec cette noble cause : la fin des injustices, quels que soient les moyens pour y parvenir…

ANALYSE EN PROFONDEUR : LE FOND & LA FORME

« Ne nous parlez plus des peuples asservis ni de leur goût pour la liberté; les tyrans sont  assassinés trop tard : c’est là leur grande excuse » !
Si cette phrase de Cioran va à l’encontre de celle de Diogène affirmant que “Rien n’est plus  rare qu’un tyran qui vieillit”, n’est-ce pas dû au fait que l’heure du crime ne sonne pas au  même moment pour tous les peuples et qu’ainsi s’explique la permanence de l’Histoire ?…
Et il me plaît de penser que si Noé avait été medium, il aurait su prévoir que des types comme Orn rêveraient un jour de l’imiter, et sans doute se serait-il sabordé sans hésiter !…
Car il aurait pris Orn au sérieux. À l’image de Shakespeare et de ses tragédies, dans lesquelles  la folie est un facteur essentiel et non un artifice dramatique, avec cette capacité qu’il a  d’inventer des personnages vivants et des modes d’existence lourds de signification.

Orn secrète effectivement une folie désastreuse.
Il y a chez lui une sorte d’atmosphère impitoyable, avec son propre code moral, qu’il  prétend idéal dans cet univers de survivance qu’il obscurcit volontairement.
Il est de ceux qui sont truffés de certitudes, qui regardent le monde avec des jumelles truquées, qui n’observent que pour vérifier. « Et rien n’est plus irritable que les sens d’un tyran » disait Juvénal.
Il s’échine à vouloir maîtriser son monde, alors que c’est une chance pour la société qu’il incarne d’avoir survécu au naufrage constituant la trame de notre histoire…  Société parvenue en bout de course qui, comme bien d’autres, sera condamnée, mais par lui, à se flétrir dans l’ordre et la discipline, ne se préoccupant plus que de survaloriser son  passé, de ruminer ses lacunes et de revendiquer ses vertus et son génie…  Il la force à faire de son déclin sa nouvelle suprématie.

Un dictateur, en cet instant, se sent toujours investi d’une mission consistant à définir une explication globale de l’Univers, à travers laquelle il impose ses propres utopies qu’il ose qualifier de valeurs morales.
Il prétend alors réinstaurer le grand secret perdu du profond accord avec la nature, et il regarde sa propre vie comme une fonction divine, comme l’ultime fraction du Grand Tout… Il a besoin de réaliser sa souveraineté dans la réalité sociale.
En regard de lui et à travers ce prisme, les autres n’ont plus de réalité substantielle : ils deviennent des abstractions, des accidents, dont les désirs particuliers se doivent de s’incliner devant l’affirmation de la souveraineté qu’il s’attribue.
Il justifie la force au lieu de fortifier la justice.

Et Orn embourbe ainsi sa société miniature dans le drame des sociétés dictatoriales.
Il oppresse, il aliène, il défie tout effort de démocratisation.
Pire même : il inhibe « son peuple » par une sorte d’immersion totale dans la mort, le contraignant à vivre dans une atmosphère imprégnée d’un affrontement permanent avec elle, alors qu’aucun d’entre eux ne s’attendait vraisemblablement à vivre une telle expérience. Car plus un évènement humain est important, plus sa signification nous échappe.
C’est pourquoi l’élément psychologique le plus important de tous ces personnages a dû être la sensation de passer aussi brusquement d’un état de vie normale à celui d’une immersion totale dans la peur, un peu comme cela a dû être le cas au lendemain du bombardement d’Hiroshima.
Ils ont dû, comme tous rescapés à l’issue d’un naufrage, cesser de rien ressentir et, bien que se rendant parfaitement compte de ce qui se passait autour d’eux, bloquer inconsciemment en leur for intérieur toute forme de réaction émotionnelle.
Il est dit en effet que ce genre de confrontation amène des mécanismes de défense consistant à nier l’évènement puis à adopter un comportement d’apathie. Ce blocage est en fait un écran symbolique permettant à l’organisme de soutenir l’impact de la mort, un état qui subsiste même après le passage du danger. Mais si efficace qu’il soit, cet écran ne saurait neutraliser totalement les stimuli de nouvelles potentielles menaces, externes ou internes. Ils prendraient alors la forme d’une auto condamnation, d’un sentiment de culpabilité et de honte quant au fait de survivre alors que tant d’autres ont péri.

Ce type de culpabilité, liée à la priorité de survie, est peut-être un des éléments fondamentaux de l’existence humaine et « C’est ce moment qu’attendent les idéalistes en quête d’un âge d’or pour concevoir leurs utopies » (Platon). Tout dictateur sait en effet profiter de cette inhibition collective pour fortifier sa propre légende en utilisant à outrance le mythe du messie chargé de régénérer l’humanité et d’assurer la prééminence de son peuple qu’il qualifie généralement d’élu. Il devient ainsi une sorte de Juge suprême, seul capable d’apprécier le destin réservé à son peuple.

Voici la raison pour laquelle les survivants de notre film acceptent de suivre Orn en lui faisant confiance, car ce type leur justifie ce désastre avec des explications idéologique et spirituelle. En leur offrant un repère, il les apaise tout en les confortant dans cette angoisse d’identification, à tel point qu’ils se sentent contraints de s’assimiler à cette mort à laquelle ils ont échappé avec le bizarre désir de se conduire comme s’ils étaient morts eux-mêmes.
Ce type de ressenti est réputé comme constituant le rapport qui existe entre l’anticipation de la mort et la manière de vivre. Et ce problème me semble d’une telle importance que j’y vois l’émergence d’une psychologie capable de justifier le comportement de mes personnages, tout en torpeur et en passivité, qui ont alors tendance à condamner tout effort impliquant vitalité ou affirmation de soi, comme ce sera le cas face à Lolie ou à Gus dont ils accepteront le bannissement sans mot dire, laissant exister les situations les plus outrancières.
Ils deviennent le comportement irrationnel du monde, le dérapage inconscient de nos lâchetés, ils sont de ceux qui prouvent que notre destin influence notre personnalité, incarnant ainsi tous ceux qui font que l’Histoire a été ce qu’elle a été et non pas ce qu’elle aurait pu être.

Quand on sait que le Traité « De la guerre » de Clausewitz fut le livre de chevet de Hitler avant de l’être pour les créateurs de l’armée soviétique, on commence à comprendre pourquoi le XXe siècle a été condamné, et pourquoi ceux que Orn appelle « mon peuple » le sont aussi !
Les historiens ont par ailleurs souvent dénoncé le comportement servile de bon nombre de populations à l’égard de la supériorité sociale qu’elles accordent aux chefs fascistes. Et il semblerait que cet excès de discipline et de vertu provienne de mythes toujours lointains et obscurs dans lesquels le chef incarne la puissance de vie de la terre ancestrale et sacrée où retournent les morts, répondant ainsi à tout ce que l’on sait des ordres intégristes et des sociétés secrètes.

Ces mythes, si souvent hâtivement rattachés aux superstitions, ne résultent pas seulement de traditions séculaires mais aussi du développement des technologies. Et je pense que l’arme dite « de destruction massive », autant que l’effrayant développement de la rationalité militaire, provoquent chez l’homme une résurgence des croyances magiques individuelles.
Se réfugiant à l’origine dans la superstition pour dompter sa peur des mystères de la Nature, l’Homme d’aujourd’hui a bien souvent recours aux mêmes références pour faire face aux appréhensions qu’il ressent face aux inventions diaboliques de la technologie et de la science.
Les « vagues neutroniques » et autres étranges « aurores boréales » striant le ciel de notre histoire, confrontent ainsi nos protagonistes à l’insécurité d’une situation « visiblement » fragile.

Je crois en effet tout un chacun bardé de rites et de mots tabous, et que quiconque se prétende totalement délivré des influences superstitieuses me réponde, par exemple, aux questions sur sa propre mort. Car ceux qui généralement vous certifient très farouchement qu’ils sont indifférents à la survie ne sont pas indifférents au sort de leur cadavre. Incinération, inhumation, momification, etc. sont déjà des projections de l’« outre-tombe » et, pour la rationalité à laquelle nous pensons nous rattacher, des superstitions. Sans parler de toutes les appréhensions qui servent de soubassement à la vie quotidienne (lotos, paris, tiercés, horoscopes, rêves, etc.) et qui canalisent inconsciemment le hasard et l’imprévisible.
Nous sommes de fait cernés par des foultitudes de superstitions qui émergent au premier péril ou au premier échec; et notre existence se déploie dans une toile d’araignée de magies personnelles ou communes…

Orn est comme tout dictateur : il en use sans scrupules, instituant ainsi une sorte de religiosité qui n’est en fait qu’un amalgame de croyances et de rites provenant de tous horizons et de toutes cultures, tout comme faisait Hitler dont les rêves impériaux étaient tout autant peuplés de Charlemagne que de Frédéric Barberousse, des chevaliers de la Table Ronde, de la religion indo-européenne des Aryens ou des antiques croyances païennes comme la fête du solstice ou des moissons.
Un ordre, au sens dictatorial du terme, ne peut vivre sans liturgie, et Orn se fera fort d’en concocter une sévère …

Orn est aussi avec eux un despote à la Montesquieu, dans le sens où il est souvent du genre à couper l’arbre pour avoir le fruit, ce fameux fruit défendu de l’arbre de vie que Lolie incarne ici au sens biblique du terme, et dont il aurait mieux fait de ne pas tenter d’user.
Née au moment du naufrage et, au contraire des autres, n’ayant connu que cette île, Lolie est à l’inverse de l’aspect dictatorial que Orn incarne. Elle est le détracteur du dictateur…
Deuxième personnage principal du film, Lolie est une enfant qui rappelle les images tragiques de la mythologie grecque : elle est l’adolescente qui ne peut s’intégrer dans les cadres de l’existence humaine, des relations interpersonnelles et communautaires. Elle est en cela le réel adversaire de Orn qui se fera prendre au piège de la passion qu’il éprouve pour elle.
Car le sentiment n’est bien évidemment pas réciproque, et Lolie deviendra la conscience vivante, toute en spontanéité, qui ne pourra comprendre l’inhibition du groupe et fera appel à son énergie d’enfant pour tenter de destituer Orn.
Cette énergie, il est vrai, prendra parfois des tournures imprévisibles, relevant bien souvent de la parapsychologie, mais elle deviendra le réceptacle des énergies brimées que chacun de ces survivants subit, avec le poids des comportements répressifs de Orn qu’elle accumule en elle pour mieux les transformer en réelle énergie défensive.

Je suis tenté de rappeler ici les théories de Jung pour faire de cette candeur et de cette virginité la seule force opposable à la dictature. Jung pense en effet que l’image parentale, symbole de  puissance tyrannique, donne naissance au culte des ancêtres que chacun peut, de ce fait, faire vivre en soi sans pouvoir les croire vraiment morts.
Lolie fera revivre en elle les premières victimes de Orn, dont la principale est une belle autochtone du nom de Argon, disparue dans des conditions mystérieuses… Elle lui ressemble physiquement et Orn l’aimait à la folie.

Objectivés par un rêve lancinant et répétitif, des hallucinations et des troubles psychopathiques, les Esprits des Morts deviennent des complexes dissociés du conscient (ou du subconscient) de Lolie, auquel elle finit par s’identifier. Elle rassemble tant les complexes de l’inconscient collectif qui résument en elle les stades antérieurs de l’évolution, que les complexes dissociés du subconscient (les Esprits des morts). Elle représente ainsi le mental double : un mental analytique qui totalise les expériences et qui implique conscience et jugement, et un mental réactif, magasin des sentiments passés dont la tonalité affective continue d’influencer le mental analytique…

La boucle est bouclée : Lolie devient conscience de la conscience et c’est elle qui viendra à bout de ce despote.

Et sur un plan métaphysique, on pourrait dire, toujours selon Jung, que cette île métaphorique serait partie d’un univers plus vaste, harmonique par rapport à celui-ci. Les connaissances et les pouvoirs supra normaux que découvrirait Lolie ne seraient autres que l’appréhension de ce plus vaste univers : ils coïncideraient avec les faits qui se déroulent sur l’île par l’effet de la synchronicité harmonique.

Mais le mal tournera mal.
Et si Orn peut arrêter une source avec un bâton, il ne peut même plus la traverser à dos d’éléphant lorsqu’elle est devenue fleuve.

Orn n’est donc plus qu’une sorte de caricature des « guides suprêmes » de type AH. Et il finira pareil :
arrivé au comble de sa folie et de ses délires, il décidera de rassembler les derniers survivants de son cargo sous un seul et même toit, dans le bunker final. Sauf qu’ici, en l’occurrence, le bunker sera une ancienne ruine mégalithique qu’il redressera avec les éléments de son cargo.
Son bunker, il le baptisera « l’arche », symbole de la demeure protégée par Dieu confiant à Noé la sauvegarde des espèces; symbole aussi de la présence de Dieu dans le peuple supposé de son choix; sorte de sanctuaire mobile faisant traverser l’océan de l’existence pour mener sur l’autre rive. Celui qui permet cela est appelé « Grand Nautonier » ou « Grand Navigateur ».
Et Orn est capitaine… Il est l’Argonaute à la recherche de la Toison d’Or et de l’immortalité, et ce n’est donc plus un hasard si la belle autochtone dont il s’est épris en arrivant sur l’île s’appelle Argon… cette Argon que Lolie fait revivre, jadis violée par lui avant de tomber d’abord enceinte puis de tomber encore du haut de la falaise et de donner naissance à son fils (Apollo), dans un dernier soupir, sur la plage qu’elle réussit malgré tout à atteindre…

Petit Osiris que la légende représente souvent avec de grandes ailes, Apollo deviendra le compagnon interdit de Lolie-« Isis » (Lolisis) et passera la majeure partie de son temps à tenter de se fabriquer une machine-à-voler…
Et quoi de plus normal dans ce contexte ? Le mot « Orn » n’est-il pas aussi un raccourci du mot grec « Ornis, ornithos » : l’oiseau, et donc la première syllabe de « Ornithologie » qui n’est autre que la branche de la zoologie sur laquelle est posée l’étude des oiseaux… dans cet univers où tout un chacun cherche à prendre son envol… alors que rien n’est plus dur que de voler avec des ailes coupées.

Mais de « Arca » (arche) dérive aussi, étymologiquement, le mot « arcane », et le treizième arcane majeur du Tarot n’est autre que celui de la Mort.
Or ils ne sont plus que treize survivants de ce naufrage, au moment où le film commence; et ce chiffre symbolise pour Orn le cours cyclique de l’activité humaine, la fatalité inéluctable, la désillusion, le passage à un autre état qui ne peut se faire qu’à perte de sa vie pour une autre naissance…

Orn en mourra, en dictateur déchu et délaissé par les siens, tentant une « rémission collective par la mort » au coeur même de son bunker dont il veut faire un ultime tombeau.
En se tuant, dans un sens, et comme au mélodrame, il avoue. Il avoue qu’il est dépassé par la vie ou qu’il ne la comprend plus.
Si l’on suit Camus par exemple, qui pose en principe que pour un homme qui ne triche pas, ce qu’il croit vrai doit régler son action, on ne peut voir Orn, ou tout autre dictateur qui met fin à ses jours, que comme un homme soudain privé de l’espoir d’une terre promise, se ressentant lui-même comme un étranger dans un exil sans recours.

Orn aura fait tout ce qui est en son pouvoir pour que son vieux navire « Le Cap Horn », devenu l’« Ornopolis » local, tienne toujours la mer, bien qu’il soit dépeuplé et totalement inconfortable à bien des points de vue.
Je l’aurais même équipé, ce satané cargo, de façon à ce qu’il puisse voler et sonder les profondeurs des légendes.
Mais le nouveau continent que ce film est appelé à explorer n’est pas situé dans l’espace interstellaire; il est à la fois plus proche et plus lointain, ce n’est autre chose que le comportement humain.

Frédéric de Foucaud, aka Fred De Fooko.