Ensemblier – décorateur

ainsi que ± 60 FILMS PUBLICITAIRES

réalisés par Alain ÉTÉVÉ, Jean-Luc VOULFOW, Claude CHABROL, Etienne CHATILLIEZ, Charles   GASSOT, Denys GRANIER-DEFERRE et surtout Claude MILLER
vantant les « bienfaits » de :
Bien-Être, Anti-Gaspi, ARC, Amnesty International, Joustra, Monsavon, Amora, Tefal, Krema, Danone, Saint-Moret, Sonia Rykiel, Dim

À propos du film de Serge Gainsbourg « Le physique & le figuré » :
« J’ai eu la chance de travailler avec « le grand Serge » grâce à Robert Nador. J’étais alors décorateur de cinéma et Robert avait été engagé par Gaumont Télévision pour assurer la production exécutive d’un « vrai faux » film publicitaire sous forme d’un court-métrage commandité par le Consortium Français des produits de beauté : « le physique et le figuré ». Gainsbourg avait été choisi pour en assurer la réalisation et je dois avouer que même sans escabeau je restais accroché au pinceau à la simple idée de travailler pour lui… Gainsbourg incarnait en effet pour moi le summum de la provoc soft, avec ce mélange d’insolence potache farcie d’exhibition et de désir quasi obsessionnels pour les femmes et ce que leur beauté inspire.
La gageure du film consistait à faire un film valorisant les produits de beauté sans montrer la marque d’un seul… La débauche de moyens mis en œuvre pour à peine cinq minutes de pellicule montée me laisse encore pantois aujourd’hui… mais tout le monde, dans l’équipe, marchait sur un nuage… Les studios d’Epinay avaient été réquisitionnés pour la circonstance et on avait installé sur le grand plateau une superbe salle de bains de 100 m2 en marbre noir et blanc sous un gigantesque lustre de cristal surplombé par une immense verrière dispensant une lumière diaphane… Tout le sol était couvert des quelques 250 flacons de cristal que j’avais chiné aussi bien aux Puces que chez tous les loueurs de cinéma de Paris… et Gainsbourg, toujours très accro aux « bouchons de radiateur » de la Rolls de Melody Nelson, avait demandé une douzaine de moulages de la Vénus de Milo pour border l’escalier de marbre menant à la grande baignoire centrale alimentée par des cols de cygne en or !… Dire que le scénario n’était pas très compliqué relève de l’euphémisme : Alexandra, superbe mannequin suédoise, sortait de la mousse de son bain et venait s’accroupir devant un psyché d’argent, au milieu des flacons… Et c’est alors qu’en coiffant sa superbe chevelure, elle devait faire un geste très ample qui par inadvertance devait heurter l’une des Venus… qui alors vacillait sur son socle avant de s’écraser au sol… Détachée de son corps sous l’effet du choc, la tête de la Venus devait rouler dans les marches au ralenti tandis que la voix du grand Serge concluait ce massacre par une phrase de sa plume et de sa voix inimitables disant : « la beauté est la pire engeance des femmes  » !…
Le décor était d’autant plus mis en valeur que la lumière était splendide et on la devait à  Gerry Fischer, chef-opérateur anglais connu pour sa géniale manipulation de la lumière naturelle, notamment développée dans la plupart des films de Joseph Losey et plus encore dans son Don Giovanni… La louma était un tout nouveau système à l’époque que quasiment personne ne savait piloter mais Gerry maîtrisait la machine avec la perfection toute flegmatique de son « britannique talent » de réputation internationale…

À l’origine, le Consortium des produits de beauté avait espéré un court-métrage de dix minutes, mais même avec la meilleure volonté du monde, il n’était pas possible d’y arriver… Comme à l’accoutumée avec Serge, le scénario était trop mince et il n’y avait pas assez de matière pour Babeth Si Ramdane, la monteuse, qui a malgré tout réussi à maintenir un rythme cohérent pendant cinq minutes.
Gainsbourg était pourtant très au top de son succès à cette époque… mais il était de mon point de vue dans une période de revanche sur la vie : sa douloureuse séparation d’avec Jane Birkin était encore fraîche et il ne parvenait à s’en remettre que grâce à Bambou avec laquelle il était depuis peu et qui l’accompagnait partout, notamment sur le plateau où il l’exhibait avec un naturel dont il avait perdu les limites…  Avec lui, on était tout de même dans la provoc’ soft, très goguenarde mais talentueuse, qui n’était pas sans rappeler la phrase de conclusion du film…
Quand il m’a reçu chez lui, rue de Verneuil, j’ai été très agréablement surpris par l’extrême raffinement de son intérieur et par la disposition très précise des objets… tous aussi « classieux » les uns que les autres (c’était son mot, ça : « classieux)… À la limite de la maniaquerie.… C’est là que j’ai constaté que s’il n’était peut-être pas très bon pour faire des films, il était tout de même un vrai metteur en scène, car tout chez lui était disposé dans le sens du cadre. Dandy jusqu’au bout des ongles, excessivement raffiné contrairement aux apparences qu’il aimait à se donner en public, il était très accueillant, très cultivé et très élégant…

Après « Le physique et le figuré », je suis passé moi-même à la réalisation avec un court-métrage, « Le Voyage d’hiver » et je lui ai demandé d’en faire la musique. Manque de pot, il n’était pas disponible car il partait pour plusieurs mois aux Bahamas, enregistrer « Mauvaises nouvelles des étoiles »… Mais bon, j’ai quand même remporté avec mon film le Grand prix du court-métrage fantastique du festival d’Avoriaz aux côtés de Georges Miller qui de son côté remportait le Grand prix du long avec « Mad Max » !… « 

Propos recueillis par Frédéric Régent pour son ouvrage « Gainsbourg – l’envers du décor« .